
Il me faut dire l’abîme.
Celui qui me fait aimer tous les hommes
comme compagnons de route.
Non pour leurs choix,
mais pour ce qu’ils portent.
Ce gouffre muet,
qu’aucune certitude ne comble.
Lorsque l’on voit l’abîme,
on voit l’incomplétude.
Et l’on comprend, peut-être,
que chacun tente d’y répondre.
À sa manière.
Du plus doux au plus cruel.
Du plus lucide au plus perdu.
Un trou béant.
Qui loge dans un mot : sens.
Un mot qui dit à la fois
la direction…
et la raison d’être.

L’abîme est double.

D’abord, il y a ce vertige :
celui d’un mental
qui cherche à bâtir du sens
sur des fondations qui lui échappent.
Le bien. Le mal.
Des mots trop nets
pour un monde fracturé.
Le fruit défendu,
c’est peut-être ça :
avoir voulu tout savoir
et se retrouver
hors du jardin.
Et puis, il y a ce silence plus vaste encore :
celui de notre origine.
Pourquoi suis-je là ?
Pourquoi ce souffle,
cette conscience,
ce mental,
ce corps ?


Nul ne sait.
Certains prétendent,
d’autres croient.
Mais depuis la nuit des temps,
nulle réponse universelle ne semble s'imposer.
Il faut vivre, pourtant.
Avec cette absence de réponse.
Avec ce double fardeau ?
Cela n’excuse rien.
Ni la violence,
ni l’indifférence,
ni la souffrance
Mais peut-être
cela adoucit le regard.
Un peu.


Et parfois,
lorsque le mental s’efface,
que l’esprit s'équilibre,
que le corps écoute,
et que l'être est accueilli
on entre dans autre chose.
Un espace habité
Un équilibre discret
entre ce que nous sommes
et ce qui nous dépasse.
La joie, alors,
n’est plus un concept.
Elle devient énergie.
Un élan intérieur,
qui pousse à aimer,
à comprendre,
à contempler,
à vivre
ce simple fait :
être humain.


Et parfois,
ce simple fait
ouvre à plus.
Une transcendance douce,
d’abord humaine.
Et qui sait,
une faille ouverte
vers l'épaisseur du réel.