Quand le regard devient intrusion et que la création se heurte à la clôture, que reste-t-il à l’art ?
Ce premier texte du creative pat⎮c⎮h explore les lignes de tension entre inspiration, propriété et humanité.

J’avais imaginé un début plus léger.
Partir d’une question ouverte, comme :
_c’est quoi être artiste aujourd’hui, bousculé par l’IA ?_
Mais si le _pat⎮c⎮h_ se veut le reflet de mon rythme,
je dois céder à l’impulsion,
laisser venir ce qui m’anime,
là, maintenant.
Ce sujet s’est donc invité comme premier,
parce qu’il est devenu vécu.
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Dans le cadre d’un parcours artistique, organisé au centre de Bruxelles,
j’ai rencontré plusieurs créateurs.
L’idée était simple, presque naïve :
ouvrir un espace,
laisser les mondes se frôler,
imaginer une passerelle entre deux élans.
Pas une collaboration formelle.
Pas une fusion.
Mais un tremplin.
Un lieu où une œuvre pourrait naître,
en écho,
à partir de l’autre.
Une opportunité,
découvrir un univers.
Le laisser m’imprégner.
En saisir la texture, l’intention.
Et peut-être, y répondre.
Mais la rencontre avec l'une des créatrice a pris un autre chemin.
Là où je proposais un dialogue,
j’ai vu se lever une muraille.
Là où j’offrais un regard,
on m’a parlé d’intrusion.
La réaction fut vive.
Comme si regarder,
c’était déjà menacer.
Comme si le simple fait de vouloir tisser un lien
était une atteinte.
Les mots étaient clairs :
_mes formes, mes idées, mon langage._
Et j’entendais :
_ceci ne se touche pas. Pas même du regard._
J’ai tenté de comprendre.
Non pas simplement d’argumenter.
Mais de rester ouvert.
De laisser l’échange avoir lieu.
Mais un trouble s’est installé.
Non dans les mots,
mais dans ce qu’ils portaient.
Un sentiment d’enfermement.
D’étroitesse ?
D’un monde où la création devient clôture,
et l’inspiration, soupçon.
Et cette question, tenace, m’est revenue :
Que peut-on encore voir, ressentir, transformer, dans un monde où tout devient propriété ?
Dans l’espace public,
tout s’offre à nos yeux.
Un bâtiment, une grille, une courbe, une matière.
Mais le regard, lui, devient suspect.
Le clic d’un appareil,
une potentielle infraction.
À quel moment ce que je vois
n’est-il plus à moi ?
Non pour l’accaparer.
Mais pour le vivre.
Pour en faire trace, expérience, expression.
Je ne parle pas de copie.
Je parle d’écho.
De transformation.
De cette réponse intérieure qu’un détail du monde provoque,
et qui devient point de départ.
Oui, il faut protéger la création.
Empêcher la contrefaçon, la récupération.
Empêcher que le travail de l’un devienne le profit de l’autre.
Mais quand la protection devient soupçon,
quand le lien devient intrusion,
quand toute proposition d’interaction est vécue comme une attaque,
alors je doute.
Gainsbourg a emprunté au classique.
Picasso a regardé l’art primitif.
Sont-ils à considérer comme des voleurs ?
Leurs relectures n’ont-elles rien apporté ?
Toute l’histoire de l’art est faite de reprises,
de métamorphoses,
de détournements assumés.
Et cette artiste, inspirée de l’Art déco,
ne porte-t-elle pas, elle aussi,
la mémoire d’un autre créateur avant elle ?
Je doute de ce que nous faisons du mot « création ».
Je doute de cette crispation sur le « mien ».
Alors que l’art, depuis toujours,
se tisse d’influences, de frottements, de contaminations fécondes.
Créer, pour moi,
c’est répondre à ce qui m’appelle.
Quand je photographie la ville,
je ne vole rien.
Je réponds.
À une présence.
À une émotion.
Et c’est cette réponse qui devient œuvre.
Pas pour figer.
Mais pour transformer.
Pour offrir autrement.
Pour témoigner de mon humanité,
et de la manière dont je choisis de l’incarner.
Il y a dans l’art une forme de transcendance
pas nécessairement mystique,
mais profondément humaine.
Un geste pour échapper au simple usage,
et toucher quelque chose qui relie.
Face au refus brutal de partage,
je vacille.
Je doute.
Quand ce geste est empêché -
par peur, principe ou orgueil -
alors quelque chose se ferme.
Et avec lui, une part du vivant.
Je continue pourtant à croire
qu’entre les mondes de chacun,
des ponts peuvent exister.
Des frottements fertiles.
Des tensions fécondes.
Je ne donnerai sans doute pas suite à cet échange.
Non par rancune.
Mais par choix.
Celui de me consacrer à des élans ouverts,
à des âmes qui nourrissent,
à des projets porteurs de lumière.
C’est dans ce possible
que je choisis de rester.